Léa Taillefert
A 40 mètres de profondeur, c’est le royaume des squales. Lorsque les premiers rayons du soleil transpercent les eaux de la mer Rouge, la pointe nord du récif de Sanganeb est le théâtre d’un ballet d’ailerons et d’ombres carnivores. Des hordes de requins-marteaux tournoient à la confluence des courants marins. Ces grands prédateurs font la renommée du parc national de Sanganeb, situé au large des côtes soudanaises, à environ trente kilomètres de Port-Soudan.
Cet anneau qui entoure une lagune d’eau turquoise peu profonde est l’unique atoll de la mer Rouge. Il apparaît comme une montagne élevée depuis les abysses dont le sommet se serait effondré, formant un cratère au ras de l’eau. Hébergeant une biodiversité rare, le site a été classé au patrimoine mondial de l’Unesco en 2016, comprenant la baie de Dungonab et l’île de Mukkawar situées plus au nord.
Sur 2 200 hectares sous-marins, s’étendent des forêts multicolores de coraux biscornus ou alvéolés qui font de Sanganeb l’un des plus riches récifs coralliens de la région, avec des centaines d’espèces de coraux et de poissons. A ses extrémités, les plateaux tombent à pic jusqu’à 1 000 mètres de profondeur. Une topographie idéale pour les poissons pélagiques comme pour les requins gris, à pointes blanches ou noires, mais aussi pour les dauphins, les raies manta, les tortues et plus de 300 autres espèces.
Sur la pointe sud de l’atoll se dresse le phare de Sanganeb, construit par les Anglais en 1950. Penché sur la balustrade, à 50 mètres au-dessus de l’onde, le capitaine Omar Ali regarde au loin. Pas un seul navire à l’horizon. « Cette année, le nombre de touristes locaux ou étrangers venus de Port-Soudan est proche de zéro. On reçoit trois à quatre bateaux de visiteurs par mois en haute saison tout au plus », constate le responsable du parc.
Dans les années 1970, Sanganeb et les côtes soudanaises attiraient pourtant près de 5 000 touristes par an. La compagnie Sudan Airways assurait une liaison hebdomadaire entre Port-Soudan, Le Caire et Rome. C’était l’âge d’or de la plongée, incarné par les expérimentations du commandant Cousteau, qui avait installé une station sous-marine sur le récif de Shaab Roumi, à quelques encablures de Sanganeb.
Mais sous les deux dictatures successives de Jaafar al-Nimeiri et d’Omar Al-Bachir, les politiques restrictives à l’égard des étrangers, l’instauration de la charia et les conflits armés dans le pays ont peu à peu détourné les visiteurs.
A Port-Soudan, les restaurants et les bungalows de bord de mer sont tombés en ruine et les hôtels défraîchissent. Les soubresauts politiques depuis la révolution qui a chassé l’ancien président Al-Bachir en 2019, puis la pandémie de Covid-19 et la crise économique ont mis un coup d’arrêt au tourisme dans le pays.
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